Le touriste occidental en Inde

Le touriste le plus commun, X, est un ancien et/ou un descendant de Woodstock. Mal rasé ou pas rasé, cheveux gras et dreadlocks, tee-shirts larges et pantalons en toile, il présente les attributs typiques de son genre New Age.Il ne descend pas au Taj (chaîne d’hôtels indienne ultra-luxeuse) mais à la Shanti Guest House de la ville qu’il visite, au choix Rishikesh, Manalli, Jaipur, Agra ou Varanasi. Là il rencontre ses homologues New Age (et un groupe de français très méchant, nous, qui le regardons d’un air mauvais et condescendant) et entame la même conversation quels que soient les sites qu’il a visité: Rishikesh, Manalli, Jaipur, Agra ou Varanasi.

Son langage fonctionne souvent par association d’idées et au fond, le but est de lancer des signaux, marqueurs d’identité vers ses « congénères ». Souvent de la forme : « awesome, amazing place ». Ils racontent leurs aventures respectives, évidemment identiques, dans les villes qu’ils ont visité : Rishikesh, Manalli, Jaipur, Agra ou  Varanasi… Ils se positionnent comme « des anti-systèmes » mais reproduisent les comportements de leurs aïeux quand ils s’adressent au « wallah », adolescent qui travaille dans la gest-house depuis qu’il a 12 ans, en ne lui adressant pas un regard en commandant son « bang lassie » (yaourt à boire à la marijuana).

Ils s’extasient devant ce qu’ils voient. Ils voient le Taj Mahal, les sourires des enfants (je vous renvoie à toutes les photos que vous voyez sur tous les blogs appartenant à ces fameux baba-touristes, taper « stock gandri » , leh, aventure sur google et prenez votre temps), les sâdhus (sages hindous), les gaths (escaliers menant vers le Gange) tellement typiques, portent des tee-shirts « free Tibet » et pensent vraiment que l’Occident c’est mal car on est plus du tout « spirituel » dans nos pays décadents. Mais ils ne voient pas le cadavre de bébé dans le Gange, ne voient pas les misérables villages le long des plaines du Gange, ne voient pas les bidonvilles qui longent les rues de Delhi, les habitations précaires des serviteurs des classes « moyennes » (autrement dit, supérieurs) delhites qui jouxtent les villas de luxe…

Deux exemples qui me passent par la tête :

– Premier  exemple à Dharamsala, John-Lennon-land, j’ai vu un homme d’une quarantaine d’années porter un tee shirt avec des paroles du dalaï lama, saisies hors contexte, du genre « aujourd’hui on a toujours plus de médicaments mais toujours plus de maladies ». Et ces millions de séropositifs? Et ces mendiants que l’on voit aux carrefours et qui souffrent de la polio ou qui en portent les stigmates car on ne leur a pas administré le vaccin lorsqu’ils étaient enfants comme on le fait chez nous en Europe ? Par contre si cet homme tombe malade il sera immédiatement rapatrié chez lui pour être « correctement » soigné.

– Second exemple un soir à Jaiselmer. J’étais en train d’écrire le plan d’un paper (même en vacances je travaille?  nan c’était juste exceptionnel! Quand même, vous me prenez pour qui ?). Deux personnages sur le toit de la Guest House : une touriste suédoise de 50 ans et un garçon de 16 ans employé dans la guest house. La suédoise engage la conversation:

– Pourquoi tu ne vas pas à l’Université ?

– J’ai pas d’argent (sinon pourquoi il serait employé et sous payé dans un hotel à 15 ans?)

– Que font te parents ?

– Ils sont paysans dans le nord du pays.

– … et tu ne voudrais pas venir en Europe ? (comment il fait pour le billet, le passeport, le visa ?).

Il répond par un -« I don’t know, m’am ». Je jette un regard noir à la femme et je vais me coucher.

Ce pays est magnifique. Intense. Mais il est encore plus dur. Quand on voyage on cherche à se protéger, le cynisme que j’emploie en est une forme. Mais se cacher la réalité,  la nier ou  la regarder avec de telles misconceptions (j’aime pas les anglicismes, mais si un lecteur de JNU arrive ici il comprendra) c’est être de mauvaise foi. Et renier son intelligence.